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Saint-Cyprien, semaine noire…

Là où de très nombreux commerçants du centre-ville ont décidé de fermer samedi, les commerçants de Saint-Cyprien n’ont pas suivi la tendance. Pour la plupart, la baisse du chiffre d’affaire constatée depuis plusieurs jours et liée aux manifestations, ne leur permet pas le luxe d’une fermeture un samedi, meilleur jour de la semaine, et qui plus est, en période de fête. Concernant les restaurants, le problème n’est pas tant lié à une baisse de fréquentation mais à une augmentation significative des annulations de dernière minute. Les restaurateurs de la place de l’Estrapade sont unanimes, entre 20 et 30 % d’annulations sont constatées les soirs d’échauffourées. « Les gens préfèrent éviter les risques de casse ou d’accès bloqués » témoigne un restaurateur de la place, conscient de l’effet négatif de ces événements sur le business. Même la nocturne du marché des halles Saint-Cyrien, qui s’est déroulée jeudi 6 décembre au soir, a elle aussi payé les pots cassés. Avec une fréquentation très largement inférieure à la précédente édition, la soirée gourmande du marché Saint-Cyprien est restée sur sa faim…

Le mouvement étudiant

Les commerçants de Saint-Cyprien se seraient clairement bien passé de cette attirance que suscite le quartier, de la part cette fois des manifestants. Mardi, les étudiants et les lycéens toulousains se sont retrouvés sur le rond-point Jane Atché, devant les portes du rempart. En début d’après-midi, la foule était étonnamment silencieuse. On aurait pu croire à un sitting pacifiste tant le calme contrastait avec l’importance de la foule, mais la tempête n’a pas tardé à gronder.

L’heure du rassemblement avait sonné et un jeune homme s’est hissé sur un plot muni d’un mégaphone et a commencé à « chauffer la salle » avec des slogans inaudibles depuis mon point de vue… le public a bien réagi. L’ambiance est devenue électrique, çà et là des mouvements de foules s’amorçaient mais avortant aussitôt, des cris retentissaient venant de groupes disséminés, puis aux cris se sont ajoutés les bruits de casse. À ce moment, les forces de l’ordre en faction jusque-là en mode décontracté, ont commencé à montrer des signes de préoccupation. Regards à 360°, échanges radio… Et soudain, le premier tir de grenade lacrymogène a tracé une parabole de fumée dans le ciel, pour atterrir au centre de la foule. Puis deux, puis trois, une détonation et soudain, pareil à un essaim d’étourneaux effrayés, la foule s’est dispersée dans toutes les directions.

Vu de l’extérieur

Lorsque l’on est en observation au milieu de la foule, on comprend mieux les mécanismes qui animent ce type de phénomènes. D’un côté, des CRS en sous-nombre qui cristallisent toutes les haines d’une société au bout du rouleau. De l’autre, la fougue et l’inconscience des jeunes, pour certains venus faire entendre des revendications légitimes, pour d’autres, suivre le mouvement et vivre des sensations fortes, et pour d’autres encore, moins nombreux mais plus visibles, casser, casser encore…

Au milieu des heurts et des manifestants galopants, sous les jets d’objets, les cris, les bruits assourdissants et les fumées de gaz lacrymogènes, une vieille dame allant à contre-sens était prostrée sur le trottoir. Un jeune manifestant a pris en charge cette dame et a frappé à la porte d’une commerçante barricadée avec ses clients pour qu’elle ouvre et l’abrite. Alors que la vieille dame était accueillie, plus loin, une mère courait avec sa poussette dans une rue adjacente pour se mettre, elle et son enfant, à l’abri.

Gardiens de la paix

Les forces de l’ordre sur cette foule constituée d’individus aux profils multiples, très jeunes voire mineurs avaient des instructions : ne pas charger, surtout ne pas blesser, disperser par l’usage des gaz, réorienter, empêcher certains accès pour protéger certaines zones, inciter à se diriger vers ou à rester sur d’autres zones … et Saint-Cyprien en fait partie.

Saint-Cyprien, quartier cible ?

Au passage, on peut s’interroger sur « l’attrait » de Saint-Cyprien. Est-ce le caractère populaire du quartier qui fait qu’il est incontournable dans le choix de nos jeunes manifestants ou est-ce une volonté des autorités de protéger le centre-ville et d’orienter les mouvement de foule vers notre quartier ?

Le centre-ville, il est vrai, n’ pas été épargné. Si mardi, le quartier Saint-Cyprien était privilégié par les manifestants, des commerces de la rue Alsace ont été saccagés ce vendredi. Si bien que la quasi-totalité des commerçants du centre-ville a décidé de fermer ce samedi…

Studio photo « Le Carré »

Studio photo « Le Carré »

Tout casser.

Tout casser sur leur passage… c’est ce qu’une partie des manifestants semblent avoir pour seule revendication. Arrêt de bus, bornes Vélo Toulouse, containers poubelles… bref tout ce qui se trouve sur le passage de la horde est susceptible d’être détruit. Ainsi, les commerces qui se trouvent sur les axes principaux du cortège sont évidemment bien plus exposés. Et étrangement, les bijoutiers ou les boutiques de luxe ont statistiquement plus à craindre que les boulangers…

Studio photo « Le Carré »

Studio photo « Le Carré »

Studio photo « Le Carré »

Allumer le feu…

Incendier, voilà ce qui semble, avec la casse, être un des modes d’expression privilégié par une partie de ces jeunes manifestants. De nombreux commerçants du quartier Saint-Cyprien en témoignent et notamment place de l’Estrapade. « J’ai arrêté un adolescent qui courait avec le container poubelle d’un commerçant voisin pendant que d’autres s’emparaient de chaises sur la terrasse du restaurant d’en face » raconte l’un d’entre eux. Rue du Pont Saint-Pierre, entre le kebab et l’Estaminot, un feu de palettes, de containers en plastique et de barrières de chantier a été allumé au milieu de la rue. En quelques minutes, les flammes montaient à 4 mètres de hauteur, le feu commençait à se déplacer sur le trottoir et à lécher la façade des immeubles anciens, dont, faut-il le rappeler, la structure est constituée de bois. Les commerçants de la place, sous-équipés, ont vidé pas moins de 6 extincteurs d’intérieur pour contenir ce feu qui prenait d’inquiétantes proportions. Ceci, sous quelques insultes d’incendiaires mécontents. L’accès par les pompiers était totalement impossible à ce moment, et il fallait agir avant qu’il n’y ait plus de dégâts.

Vendredi, un commerçant ayant participé à l’extinction d’un feu mardi, a dû « faire la police » devant son commerce et empêcher à plusieurs reprises, de jeunes manifestants mal intentionnés d’allumer un nouveau feu. Ces derniers avaient commencé à réunir des objets (poubelles, canapé abandonné…) devant son commerce pour y mettre le feu et il a dû à plusieurs reprises, retirer ces objets pour empêcher qu’ils soient incendiés…

Des étudiants aux gilets jaunes

Hier, c’était le tour des gilets jaunes qui ont fait du samedi leur journée de rdv nationale. Pour cette nouvelle manifestation, la violence a atteint son apogée. Un cortège de manifestants partis d’Arnaud Bernard en direction de Saint-Cyprien a été divisé en deux au niveau du pont des Catalans. Un groupe de 300 manifestants radicalisés a évolué vers Saint-Cyrien et a trouvé, au niveau du musée des abattoirs, dans le chantier immobilier face au musée, de quoi fabriquer une immense barricade en travers de l’avenue Charles de Fitte sur laquelle un feu a été allumé. Là, de violents échanges se sont déroulés sous les survols d’hélicoptères. Des manifestants étaient même montés aux étages de l’immeuble en construction pour jeter des projectiles sur les forces de l’ordre.

Une fois le spot des Abattoirs sécurisé par la police, les pompiers ont pu intervenir pour éteindre l’immense feu allumé sur les barricades. Mais la violence a continué de se reprendre dans tout le quartier, notamment avenue Etienne Billières avec des bris de vitrines et des pillages de commerces. Jusqu’à l’avenue Maurice Sarrault où deux voitures ont été renversées et incendiées.

Pauvre de nous…

D’un côté des citoyens excédés par un pouvoir d’achat qui fond sous le soleil aride de la pire fiscalité d’Europe sur fond de réchauffement climatique ; de l’autres côté, d’autres citoyens, chargés de l’ordre et de la sécurité, épuisés par des millions d’heures supplémentaires, impossibles à récupérer, et cumulées depuis les attentats… Comble de l’ironie, les premiers n’ont personne d’autre pour déchaîner leur colère que les seconds, comme mis à disposition pour servir de défouloir…

Photos: Studio le Carré, Frédéric Delrieu et Clément M.
Texte : Frédéric Delrieu
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